
Les chevaliers francs ont deux sortes de chevaux. Le palefroi est le cheval de promenade, d'apparat, celui que l'on sort pour aller séduire les gentes damoiselles. Le destrier est, au contraire, le cheval de combat, celui qui sert à faire la guerre. Le palefrenier s'occupe du palefroi, tandis que l'écuyer marche à côté du destrier, portant l'écu de son maître.
Tout écuyer qui se respecte aspire à devenir chevalier. Formé à partir de quatorze ans, il reçoit la consécration par adoubement et les honneurs en servant son suzerain. Mais avant de participer à la fête, l'écuyer ne rêve que d'une chose : partir à l'aventure.
Cet écuyer-là ne faisait pas exception. Accompagnant son maître au cours de ses nombreux voyages, écoutant les récits des troubadours, il n'aspirait qu'à vivre quelque combat, quitte à mourir comme Roland dans sa chanson de geste.
Seint Gabrïel de sa main li ad pris.
Desur sun braz teneit le chef enclin,
Juntes ses mains est alét a sa fin.
Deus li tramist sun angle Cherubin
E seint Michel de la Mer del Peril,
Ensembl'od els seint Gabrïel i vint ;
L'anme del cunte portent en pareïs. (7) »
A côté de ces récits épiques, l'écuyer devait prêter une oreille attentive aux chansons courtoises. Un preux chevalier courtisait une dame d'un certain rang, être supérieur et inatteignable. En échange de la promesse d'un baiser qui n'arriverait jamais, le héros proclamait son amour, sa fidélité, sa loyauté. « Je suis votre homme lige, votre loyal serviteur. »
Mais l'écuyer préférait s'enquérir des pastourelles, ces chansons parlant de la rencontre entre un chevalier en devenir et une bergère.
Couchai la a terre tout maintenant,
Levai li le chainse,
Si vi la char si blanche,
Tant fui je plus ardant,
Fis li la folie.
El nel contredist mie,
Ainz le vout bonement. (8) »
Vertement réprimandé s'il y faisait allusion, l'écuyer laissait tout de même traîner ses oreilles là où le vice rencontrait la vertu. Il se promit que, quand il serait chevalier accompli, il profiterait des bergères, comme tout héros de pastourelle qu'il serait.
Ainsi va la vie d'écuyer. Levé tôt, couché tard. Tantôt en apprentissage des armes, tantôt aux petits soins pour le destrier. Jamais de temps pour souffler, si ce n'est pour apprécier à leur juste valeur les gestes et autres pastourelles des villes et villages explorés par lui et son maître.
(7) Chanson de Roland, Inconnu, vers 1389-1396.
(8) Pastourelle, Anonyme.

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