
Les Esprits ne sont pas là. Ils sont seulement visibles par leurs manifestations suggérées ou supposées. Cependant, lorsque le Monde devient bouleversé, alors les Esprits prennent part à la Vie, afin de remettre chaque chose à sa place.
Les choses n'ont pas de place déterminée. Chacun doit la trouver. C'est cela la Vie. Si les places sont perturbées mauvaisement, alors les Ohanzees sont responsables. Ce sont des Esprits qui jalousent leur ancienne vie à ceux qui la possède. Les autres doivent alors y remettre bon ordre. C'est de cela qu'il se passe lorsque le Monde ne va pas bien.
Ashkii repensait souvent à toutes les choses qu'il avait eu le temps d'apprendre durant sa courte vie. Il essayait de mettre en pratique ce qu'il savait pour protéger ses amis, son village, sa Forêt. C'était son rôle d'esprit. Surtout depuis le grand retour de Matwau et de ses Ohanzees.
Eluwilussit, « le Saint », l'Esprit des Esprits, avait une raison d'être : celle de veiller. Askuwheteau savait des choses de la Forêt, de la Plaine, des Cols glacés et de la Mer immense. Lui, connaissait les événements des vents, des pluies, des aurores boréales... Les Esprits, s'ils sont omniprésents dans la vie, ne sont pas omniscients ni omnipotents. Ils ne prennent pas part à ce qu'il se passe chez les hommes et les femmes, qu'ils soient ancêtres ou enfants.
Arrivés devant le Grand Tipi, Delsin « Il est ainsi » veillait. Il ne voyait pas d'un bon ½il que de simples habitants de la Forêt puissent se trouver là. Même si Matwau perturbait les choses ici-bas, il ne fallait quand même pas tout retourner sens dessus dessous. Mais, comme il en était ainsi, il fit ce qu'il fallait pour leur permettre l'accès au Tipi.
Une fois assis en cercle, face à un masque représentant un visage énigmatique, Ashkii, Nokomis, Mojag et Honaw attendirent. Eluwilussit se fit alors entendre.
- La Forêt n'est plus un lieu sûr. Les Ombres sont responsables de ce fait. Et l'Ennemi est là, réveillé. C'est pourquoi le Saint ouvre les yeux. Si les Renards et les Loups ne trouvent plus refuge, si leurs portées dépérissent, si leur meute se disloque, alors la santé du Monde s'en ressent.
- Que faut-il faire alors ? demanda innocemment l'Esprit-renard.
- Chaque chose a sa raison d'être, qu'elle soit le fruit du hasard ou de la cause. Chaque action porte à conséquence, et celle-ci prend place dans nos vies quotidiennes. Il faut s'en accommoder.
- Mais ne peut-on laisser faire ça ?
- Sûr que non. Il faut que l'ordre revienne. Le chasseur chasse la proie. Lorsqu'il devient chassé, alors il devient la proie. Les proies ne se chassent pas entre-elles, et les chasseurs non plus. On ne tue pas sans raison. La vie est trop précieuse que pour être gaspillée ainsi. On ne peut la prendre que par nécessité, ou par obligation. Elle ne se monnaie pas.
- Est-ce mal de tuer ?
- Est-ce bien de tuer ? Si la nécessité l'exige, si obligation il y a, alors il n'est plus question de bien ou de mal.
- Le chef de mon clan a été tué.
- Et un autre de mes semblables, même si ce n'était pas un sage Renard.
- C'est pourquoi il nous faut rétablir l'ordre des choses. Car il est ainsi, sans qu'il faille se poser de question première ou ultime. Les choses de ce Monde sont, acceptons-les et vivons avec.
Les conseils d'Eluwilussit étaient toujours sibyllins. Il fallait respecter les errements de notre existence et non pas les provoquer. Surtout s'il s'agissait de ceux des autres. Contre des Ohanzees aussi puissants que Matwau, des hommes ne pouvaient rien faire. C'est dans leur nature de se laisser corrompre. Surtout si ce que est fait est considéré comme juste et justifié. « Je dois le faire. C'est bien. » A cela il n'y a rien à répliquer. Aucune position n'est légitimement défendable. « Ce que tu fais est mal. » Ce point de vue est ce qu'il est : un point de vue.
Ashkii est un jeune Esprit. Très attaché à sa Forêt, il est vulnérable. Il a besoin d'un maître d'armes, d'un maître à penser. Le Saint a désigné Hassun, la « Pierre ». C'est sur cette pierre qu'Ashkii doit construire son talent d'esprit. On ne nait pas homme, on le devient – on construit sa vie activement. On ne nait pas Esprit, on le devient – après la mort.
Hassun est un vieil Esprit. Cailloux, il est buté. Et il ne voit pas quelles raisons le pousserait à aider un Renard. La pierre est là, le renard passe et ne s'intéresse pas à elle. De même, la pierre ne s'intéresse pas à lui. C'est comme ça.
Ashkii doit retrouver Tala. Il n'a pas le temps de retourner chaque pierre de la forêt pour que son allié se manifeste. De retour dans la Forêt, ils vont devoir se séparer – de nouveau. L'Esprit-renard et Nokomis partiraient directement à la recherche de la Louve perdue, tandis que Mojag et Honaw chercheraient Hassun d'abord, les Ohanzees ensuite.
- Avant de partir, il va vous falloir de quoi vous défendre. Nous avons affaire à quelque chose de mauvais, qui peut vous corrompre et vous pousser à faire des choses que vous n'auriez pas faites de votre propre chef.
- Tu commences à parler comme un vieil Esprit.
- Nokomis, je suis un Esprit.
- Et nous ne sommes que de simples Loups.
- Parle pour toi ! Moi, je suis un Renard.
- Un Renard particulièrement bavard.
- Cette conversation est futile maintenant, coupa l'Ours.
- Laissez-moi vous donner ceci, continua Ahskii.
- Qu'est-ce ?
- Touche.
- De la fourrure.
- Laquelle ?
- Facile ! Renard.
- Non, c'est du loup.
- Faux, de l'ours évidemment.
- Chacun en a une différente. Inutile d'expliquer pourquoi je présume ?
- Une histoire d'Esprits ?
- De totems. C'est important de savoir d'où l'on vient.
- Et plus encore où l'on va.
- Ça, c'est la deuxième chose que je vais vous donner. Passez-moi vos armes.
- Tu nous donnes, ou c'est nous qui donnons ?
- Nokomis, je me demande parfois ce que Mojag peut bien te trouver. Je pensais que Tala avait sale caractère. Mais je crois avoir trouvé pire.
- Encore un mot et tu vas le regretter.
Le Renardeau se contenta de prendre les armes. Il décrocha de sa ceinture une bourse taillée dans une corne, et en sortit une substance pâteuse de couleur rouge. Il l'appliqua sur les ustensiles, dessinant des motifs variés – animaux, plantes, objets...
- Ce sont des tatouages ?
- Oui. C'est votre protection.
- Et ça suffira ?
- Je ne pense pas. Les Ohanzees ne sont pas superstitieux. Il vaut faut encore autre chose.
Allant devant l'arbre le plus proche, il entailla le tronc et laissa couler la sève. « De la sève maintenant ? Les Esprits sont décidemment bien difficile à suivre. »

LuiPlusQueTous010214, Posté le dimanche 03 août 2014 15:56
j'adore l'image c'est très beau *0*